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Cartano.

Ce fut cet homme qui décida de tout.
Quelques semaines à peine après que j'eus expédié mes manuscrits, et alors que trois d'entre eux m'avaient déjà été retournés avec une lettre m'expliquant que mon roman était très bon, mais qu'il "n'entrait pas dans la ligne éditoriale actuelle" des maisons concernées -formule consacrée pour dire que votre livre ne les intéresse pas...- je reçus un coup de téléphone.
"Valérie Alma-Marie?" me dit une voix grave (et pour tout dire, vraiment sensuelle!).
Je restais un instant sans voix, parce que si mon nom d'auteur est bien mon véritable nom, ce n'est pas mon nom d'état-civil. Et donc peu de gens s'adressent à moi en m'appelant ainsi.
Je retrouvais cependant mes esprits, et répondis, un peu méfiante:
"C'est moi-même en effet.
-Je me présente: je suis Tony Cartano, directeur éditorial des Editions Belfond."
Il y eut un nouveau silence. Je ne savais pas quoi dire, me demandant s'il ne s'agissait pas d'une blague, et attendant la suite.
"Vous nous avez bien envoyé votre manuscrit?
-C'est possible, en effet, " répondis-je, hésitante.
Je ne savais plus très bien à qui j'avais exactement expédié mon roman.
Au bout du fil, la voix grave et chaude se fit un peu tremblante:
"Ne me dites pas que vous avez déjà été contactée par un autre éditeur?
-Oh non, vous êtes le premier!"
Là je commençais à me rendre compte qu'il ne s'agissait peut-être pas d'une blague.
"Bien. Parce que cela va venir, c'est certain. Mais puisque je suis le premier à vous appeler, cela me donne un droit de préséance, nous sommes bien d'accord?"
Cette fois, la voix se faisait péremptoire, et continuait, pressante:
"Pouvez-vous me dire à qui vous avez envoyé votre manuscrit exactement?"
Décidément, ce monsieur semblait obsédé par ses concurrents! J'énumérais quelques noms.
Cartano me demanda quels avaient été mes critères de sélection. Il parut très déçu lorsque je lui dis que j'avais opéré au hasard, et notamment que je connaissais très peu les Editions Belfond.
"Si vous signez chez nous, vous ne le regretterez pas, m'expliqua-t-il. Nous sommes une maison sérieuse avec de forts capitaux. Votre livre m'intéresse. D'abord il est très bien écrit, et l'histoire est prenante. Et puis les personnages sont attachants: ils restent dans l'esprit du lecteur et on les suit avec intérêt..."
Incrédule, je l'écoutais me vanter les qualités de mon roman comme si c'était lui qui voulait me le vendre! Mon coeur battait à toute vitesse; il me semblait que je rêvais.
"Je suis décidé à faire de votre roman un best-seller, poursuivait Cartano. Nous allons le présenter comme le renouveau du grand roman romantique français; vous êtes le nouvel Alexandre Dumas. C'est ce que nos lecteurs attendent."
Mon coeur battait de plus en plus fort.
"En revanche, il faut que vous soyez bien consciente de ce qui vous attend. Vous allez être médiatiquement exposée. Il y aura sans doute des TV à faire. Il ne faut pas qu'au dernier moment vous me disiez que vous ne voulez plus!
-D'accord, m'entendis-je répondre comme dans un brouillard.
-Bon alors je vous envoie le contrat dès ce soir. Et souvenez-vous que si d'autres éditeurs vous contactent, c'est avec moi que vous vous êtes moralement engagée. Ils n'avaient qu'à être les premiers!"
Il hésita un peu, puis demanda tout-à-coup :
"Vous n'écririez pas également des romans érotiques par hasard?"
Là, vous imaginez ma stupeur! Devant mon "non" éloquent, il ajouta:
"Eh bien tant pis. Mais c'est dommage: avec votre style, cela aurait pu être intéressant..."
Il me fit encore promettre que je ne signerais pas avec d'autres, et il raccrocha.

Cette nuit-là, je ne parvins pas à dormir une seule seconde; j'étais trop excitée.
Le lendemain, le contrat de Belfond n'était pas encore arrivé. Mais en revanche il y avait dans la boîte à lettres un courrier des célèbres Editions Robert Laffont, m'informant que mon roman avait retenu leur attention, et qu'il était en phase de relecture. Cartano ne s'était donc pas trompé: mon livre en intéressait plusieurs.
Bien que je n'aie encore rien signé, je me sentais réellement liée à lui, ne serait-ce qu'à cause de toutes les gentilles choses qu'il avait dites sur mon livre et qui m'avaient fait plaisir. Cependant, pour être certaine de ne pas me tromper, je courus demander à la libraire ce qu'elle pensait de ces deux éditeurs. Elle me confirma que Laffont était une plus grosse maison, mais que Belfond était l'éditeur français du moment qui avait le vent en poupe, avec des publications de qualité et de réelles réussites commerciales. Quant à Cartano, elle me dit qu'il était le nouveau "pape" de l'édition française, très dynamique, et qu'avec Françoise Verny c'était lui qui "faisait la pluie et le beau temps".
Et donc, lorsque le contrat arriva, je le signais sans hésiter. Le pourcentage qui m'était concédé (10% HT) n'était peut-être pas considérable, mais Cartano m'avait affirmé qu'il se situait dans une honnête moyenne. Je ne fis même pas attention à la clause qui me liait aux Editions Belfond pour mes 5 ouvrages suivants, ni au droit de préséance que je leur concédais pour la suite. J'étais trop heureuse d'être publiée. Et pour moi, Cartano était un héros.

 http://www.editionsclarafama.com/page_pdt.php?section=2&selecte=12

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